Je voulais trouver un titre significatif de ce qui est en train de se passer actuellement de si grave pour les "gens du voyage" sur le plan législatif, qui risque tant d'impacter et de contraindre si gravement leur existence. Il est probable que cette tentative ait échoué, car je n'ai pas de mots assez forts pour qualifier ce coup de force réactionnaire de nature à contraindre des gens que j'estime et respecte. Leur mode de vie qui échappe éternellement à la sommation d'habiter le dur dans un lieu figé par le temps, afin de mieux surveiller et punir, est pour moi synonyme d'une liberté incroyable et précieuse, qu'il s'agit de préserver.
Mais cette liberté à un coût de plus en plus difficile à supporter. Ce dernier projet de loi en est l'exemple le plus récent. Comme s'il ne suffisait pas de la situation actuelle pour leur pourrir la vie. Il n'y a pas assez d'aires de stationnement pour eux, c'est de notoriété publique. Trop de communes se battent pour ne pas les accueillir, jusqu'à refuser d'appliquer la loi, qui stipule que toute commune de plus de 5000 habitants doit leur réserver un espace dédié. De plus, ce qui me révulse au plus haut point, lorsqu'il en existe, ces aires sont généralement situées dans des lieux où vous ne laisseriez pas vos propres enfants se promener : près des décharges publiques, au bord des autoroutes, des usines d'incinération, ou d'usines classées Séveso. La plupart sont également si éloignées des centres commerciaux, ce qui ne facilite pas vraiment leur vie quotidienne.
William Acker, un juriste issu de cette communauté que je suis attentivement et qui m'a sensibilisé aux problématiques autour de cette, ou plutôt de ces communautés, a très bien résumé et décrit précisément, au jour le jour même, exemple après exemple, ce dont il s'agit.
Cette situation est pour moi insupportable. Parce que j'aime mon prochain, en toute sincérité, je voudrais lui proposer le meilleur. Mais l'Etat français le contraint systématiquement et durablement au pire. Il n'y a pas si longtemps, les "gens du voyage" étaient encore l'objet d'une surveillance spéciale, particulièrement discriminatoire, grâce au livret de circulation, supprimé en 2017. (On ne sera guère étonné d'apprendre que Les Républicains et l’UDI s'étaient alors prononcés contre la loi qui a permis cette suppression). Et ce n'est là qu'un élément discriminatoire parmi d'autres, même s'il est important. je ne parle même pas de leur place aussi peu enviable que celle des juifs dans la "solution finale" et de la haine particulière que leur vouaient les nazis, en raison d'un racisme qui m'apparait encore aujourd'hui assez "universel" tant il est répandu dans notre pays. Je n'ai en effet pas encore déterminé qui de l'arabe, du juif ou du rom, du gitan, du tzigane, du manouche ou du yenniche est le plus rejeté, détesté, haï, méprisé, et traité comme un sous-homme, ou une sous-femme, et relégué dans les espaces les plus hostiles et dégradés de notre pays. Le racisme crasse indiscutable dont ils et elles souffrent m'est une plaie béante qui se ravive assez régulièrement sous l'effet des différents événements qu'il m'est donné d'observer ici et là. Et j'ai honte.
Mais venons en au fait. Le dernier événement en date qui me scandalise, et sur lequel William Acker a attiré mon attention, c'est ce projet de loi d'un certain Xavier Albertini, qui à la lecture attentive de son texte législatif insiste davantage sur leurs devoirs (qui sont innombrables, et bien plus contraignants qu'un citoyen sédentaire) que sur leurs droits, limités à leur plus simple expression. Aussi ne serez-vous pas étonnés qu'il soit de droite, et bien de droite.
On ne sera également pas étonné d'apprendre que le projet de loi en question, quand on déroule le fil d'Ariane de sa genèse, se voie gratifié, ou plutôt déshonoré, d'un tireur de ficelles un peu grosses qui n'est autre qu'un certain... Retailleau.
Réfléchir aux enjeux de la mobilité, dans le cadre d’un durcissement des
lois sur les installations illicites. Voilà la mission confiée au
député (EPR) Ludovic Mendes par Bruno Retailleau, en février. Intitulé
« Pour la répression des occupations illégales et l’amélioration de l’accueil des gens du voyage », ce projet de loi transpartisan se veut être un « savant
point d’équilibre offrant davantage de protection aux gens du voyage
mais exigeant, avec plus de fermeté, leur respect de l’ordre public ». (source).
"Projet de loi transpartisan" ? On se moque de qui, vraiment ? J'ai épluché la liste des députés qui l'ont déposé, et la plupart sont encartés chez Horizons, le parti du viril (sic) Edouard Philippe, et quelques autres, une infime minorité, d'Ensemble. Je m'étonne d'ailleurs qu'il n'y ait pas davantage de gens de chez LR boire même de l'extrême-droite. Mais peut-être le texte n'était il pas assez dur pour eux ? Il est vrai que les auteurs de ce texte avancent masqués, se dissimulant derrière l'alibi environnemental, alors que je sais les mêmes bien peu soucieux par ailleurs d'écologie, comme la réalité de leur positionnement comme de leurs actions le démontre chaque jour. L'hypocrisie, leur marque.
Plus de vingt ans après la loi de « sécurité intérieure » du 18 mars 2003, ce texte entend renforcer les sanctions « lorsqu’il y a un délit d’installation illicite sur une propriété privée ou publique au moyen d’un véhicule automobile
». Cela, notamment via son article 2 qui « ajoute le préjudice
écologique, ou l’imminence de ce dernier comme constituant un nouveau
motif de trouble à l’ordre, l’ordre public écologique, à la liste des
motifs légaux d’évacuation forcée en vigueur en cas d’installation
illicite ».
Un article de loi qui, s’il devait être voté, renforcerait « le racisme environnemental, dont sont déjà victimes les Voyageurs », et consacrerait le détournement d’un principe, visant « à poursuivre et punir les grands pollueurs et non à devenir une menace juridique envers une partie de la population », dénonce auprès de Splann ! William Acker.
Franchement, ces gens se foutent de la gueule du monde. Leur racisme ne saurait justifier qu'on ajoute encore à la peine de ces communautés, dont on devrait au contraire faciliter et enrichir les moyens comme les conditions d'existence. On ne peut pas à la fois leur interdire les stationnements illicites, et leur proposer des lieux de stationnement dont on ne voudrait pas pour son chien. Et encore, quand ils existent...
Car William Acker, lui, sait de quoi il parle. Il participe en effet, en plus de son travail militant et pédagogique, à différents travaux de recherche, visibles ici. Par exemple, il a notamment produit et publié cette carte qui recense les différentes implantations des aires dédiées :
On y constate que les aires isolées et polluées sont bien plus nombreuses en proportion que les zones vertes, "non isolées et non polluées". De quoi caractériser le racisme géographique dont il parle, qui s'acoquine fort bien du racisme ethnique et social dont ces communautés sont victimes et dont la relégation spatiale est la résultante. Il y a donc un grand cynisme assez révoltant de la part des auteurs du projet de loi à se réfugier sous l'argument d'un soi-disant préjudice écologique, d'autant plus que les gens du voyage en sont les premières victimes, comme on a pu le constater de facto à l'occasion de l'épisode de l'incendie de l'usine Lubrizol, en 2019, à Rouen : n'étaient-ils pas aux premières loges ?
Aussi, si vous le pouvez, faites connaître autour de vous ce projet de loi liberticide, et exigez son retrait. Cela est d'autant plus fondamental pour cette cause qu'il a déjà été adopté par l'Assemblée Nationale, malgré l'avis du Défenseur des Droits (regardez attentivement qui a voté pour...). Mais il n'est pas trop tard puisque ce texte doit ensuite suivre le chemin de la navette parlementaire habituelle (Sénat puis retour à l'Assemblée Nationale).
Afin de vous forger une opinion conscientisée sur le sujet, je vous propose de poursuivre la lecture avec ce texte de l'ANGVC (Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens, en France, dont William est délégué général. Il recense bien l'ensemble de la problématique de ce texte, par et pour les gens qui la vivent et en seront dangereusement impactés.
Tribune
2 avril 2025
Projet de loi contre les « gens du voyage », la République à l’épreuve
Sous
couvert de réforme de l’accueil, la proposition de loi portée par le
député Xavier Albertini, soumise au vote de l’Assemblée nationale le 3
avril 2025, constitue une offensive sécuritaire sans précédent. Des
associations représentatives des Français itinérants, voyageurs,
forains, circassiens, alertent sur le danger que revêt ce texte. « Si la
loi devait être adoptée, nous entrerons dans une nouvelle phase de
lutte pour défendre notre dignité, nos droits, notre mode de vie. »
Nous, associations représentatives
des Français itinérants, voyageurs, forains, circassiens, alertons
solennellement sur le danger que constitue la proposition de loi portée
par le député Xavier Albertini, soumise au vote de l’Assemblée nationale
le 3 avril 2025.
Sous couvert de « réforme de l’accueil », ce
texte – soutenu par la majorité gouvernementale, une large partie de la
droite et de l’extrême droite – constitue une offensive sécuritaire sans
précédent contre les droits des Voyageurs. Il aggrave les sanctions à
l’encontre des personnes vivant en habitat mobile, tout en ignorant
délibérément la réalité criante : le grave déficit de lieux autorisés à cet habitat et le manque de réponses adaptées aux besoins réels de stationnement et de logement des Voyageurs.
Une loi répressive, déséquilibrée, aveugle
Malgré les alertes répétées des associations, du Défenseur des droits et des institutions européennes, cette loi :
- double
les amendes forfaitaires délictuelles liées à l’installation dite «
illicite », pouvant atteindre 1500 euros, sans justification ni étude
d’impact ;
- autorise la confiscation de véhicules servant d’habitat, portant atteinte au droit au logement et à la vie privée ;
- allonge
les délais d’exécution des mises en demeure préfectorales, tout en les
rendant automatiques, sans appréciation humaine. Elle instaure ainsi,
sans décision de justice, une interdiction prolongée de séjour sur
l’ensemble d’un territoire intercommunal ;
- introduit un nouveau motif d’expulsion fondé sur le « préjudice écologique »,
juridiquement flou et potentiellement discriminatoire, qui pourrait
permettre l’expulsion de familles installées sur leur propre terrain. Ce
dispositif initialement conçu pour punir les grands pollueurs se
retrouverait utilisé contre les plus précaires.
Alors même que 52 % des aires d’accueil sont situées à proximité de zones industrielles ou polluées,
cette loi renforce l'exposition des familles à des environnements
dégradés. La précarité sanitaire est déjà dramatique : 22 % des familles
n’ont pas accès à l’eau courante, et l’espérance de vie des Voyageurs reste inférieure de 15 ans à celle du reste de la population.
Une loi contraire aux droits fondamentaux
Dans son avis du 21 mars 2025,
la Défenseure des droits a été catégorique : ce texte viole des
principes constitutionnels essentiels – l’accès au juge, la
proportionnalité des peines, le droit de propriété, l’égalité devant la
justice – et risque de renforcer des pratiques discriminatoires déjà
documentées à l’encontre des Voyageurs.
La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses manquements en matière de logement, ses expulsions abusives,
et les discriminations systémiques subies par les personnes vivant en
résidence mobile. Cette loi ne ferait qu’aggraver l’isolement, la
stigmatisation et la précarisation.
Aucun progrès, aucun espoir, aucune solution
Depuis
l’an 2000, la loi Besson organise l’accueil et l’habitat des gens du
voyage. Vingt-cinq ans plus tard, ses objectifs ne sont toujours pas
atteints : moins de 4 % des communes
disposent d’un équipement conforme ; seuls 12 départements remplissent
les obligations légales (nouveaux chiffres présentés à la DIHAL le 26
mars dernier, voir photo en bas de page). La loi Besson ne peut, à elle
seule, répondre à la diversité des besoins des Voyageurs, que ce soit
pour le stationnement en itinérance ou pour le droit de résider sur un
terrain en propriété.
Aujourd’hui, la quasi-totalité du territoire national est interdite à l’habitat caravane,
hormis ces lieux de relégation que sont aires d’accueil, rares et
souvent inadaptées. Cette carence engendre des situations d’errance
forcée, qui ne relèvent pas de la délinquance, mais bien d’un défaut
structurel de politique publique.
Les conséquences sont sociales, humaines, profondes : ruptures de scolarité, accès inégal à l’éducation et à la santé, coupures d’eau ou d’électricité.
Ce texte n’apporte aucune solution, ni en matière d’accueil, ni de
logement. Il punit sans corriger. Il stigmatise sans comprendre. Il
prétend agir au nom de la République tout en reniant ses principes les
plus fondamentaux.
Le 3 avril, la République sera à l’épreuve
Nous
appelons solennellement les députés à rejeter ce texte. Nous refusons
de redevenir des citoyens de seconde zone, comme au temps des carnets
anthropométriques, des livrets de circulation et des internements
administratifs. Ce temps-là est révolu. Nous ne laisserons personne le
ressusciter.
Si la loi devait être adoptée, nous appelons
l’ensemble des Voyageurs, citoyens itinérants, familles, alliés,
juristes, militants, à se mobiliser sans attendre. Nous entrerons dans
une nouvelle phase de lutte pour défendre notre dignité, nos droits,
notre mode de vie.
Signataires :
ACTION GRAND PASSAGE
ASSOCIATION CULTURE ET TRADITION DES GITANS DU GRAND SUD
ASSOCIATION DAS SO VAS
ASSOCIATION DÉPARTEMENTALE DES GENS DU VOYAGE CITOYENS 44
ASSOCIATION NATIONALE DES GENS DU VOYAGE CITOYENS
ASSOCIATION FAMILIALE DES GENS DU VOYAGE D’ILE-DE-FRANCE
ASSOCIATION SOCIALE NATIONALE INTERNATIONALE TZIGANE
ASSOCIATION REPRESENTATIVE DES GENS DITS DU VOYAGE
ASSOCIATION RECONNAISSANCE DES LOCATAIRES GENS DU VOYAGE
AUMONERIE NATIONALE DES GENS DU VOYAGE
APATZI
CID’EUROPE
FRANCE LIBERTÉ VOYAGE
MEMORIAL DES NOMADES DE FRANCE
OBSERVATOIRE DES DROITS DES CITOYENS ITINÉRANTS
UNION DEFENSE ACTION FORAINE
MEMORIAL DES NOMADES DE FRANCE
Contact presse : 07.87.55.67.41 // contact@angvc.fr