Reculer l'âge de départ à la retraite pour que les vieux restent encore plus longtemps au chômage, voilà une belle prouesse du macronisme. Je ne comprends toujours pas, 2 ans après une réforme aussi impopulaire rejetée par une majorité de français, qui n'a même pas été votée mais promulguée à grand renfort de 49.3, qu'on n'ait même pas eu la décence, en haut lieu, d'assortir cette régression d'un dispositif d'incitation à l'emploi des séniors. Car je connais mon sujet, à double titre :
1. je suis directement concerné puisque j'ai 61 ans et que je suis encore en emploi précaire
2. je suis conseiller en insertion socio-professionnelle, et je baigne depuis 40 ans dans les mesures et dispositifs d'accompagnement à la recherche d'emploi et de formation, les contrats aidés aux dispositions incitatives, édictées par des politiques publiques de l'emploi plus ou moins lisibles.
Et force m'est de constater que depuis Macron, non seulement je n'ai pas vu ne serait-ce que l'ombre d'une politique de l'emploi digne de ce nom, mais pire encore : ses gouvernements successifs n'ont cessé de prendre les chômeurs pour des cibles. Comme s'ils étaient responsables du malheur qui les frappe, et qui les fait tant souffrir, pour la plupart. Car NON, les chômeurs ne sont pas tous des feignants qui profitent du système (rappelons que l'allocation qu'ils touchent est largement inférieure à la rémunération qu'ils avaient en travaillant, et elle n'est pas éternelle, se raccourcit de plus en plus), et NON il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi. C'est d’ailleurs pourquoi des gens comme moi existent, qui ont fondé toute leur vie professionnelle à lutter contre ce fléau qu'est pour moi le chômage quant il n'est pas voulu mais subi, un mal que j'ai enduré plus qu'à mon tour....
Et si la perte d'emploi, et la difficulté d'en trouver est un parcours du combattant à tout âge, force m'a été de constater, à travers mon exemple comme auprès de ceux que j'accompagne ou dans mon entourage, que c'est encore plus compliqué quand on a dépassé 50 ans. Les employeurs ont pour beaucoup peur de nous : nous connaissons nos droits, nous avons développé un sens critique à l'endroit des rapports au travail, et nous ne sommes plus prêts ni à toutes les compromissions ni à tous les sacrifices, car nous savons ce que nous voulons et ce que nous valons. ça effraie les plus faibles d'entre les patrons, surtout quand ils ne sont pas droits dans leurs bottes, et qu'ils ont des choses à se reprocher... Bref. Et si comme moi vous avez le malheur (oui, c'en est un, je l'ai vécu à mes dépends) d'avoir un niveau d'études à BAC+5 et que vous avez été cadre, voire directeur de structures, c'est encore moins évident de faire comprendre à votre interlocuteur que vous postulez pour un emploi au bas de l'échelle, non seulement parce que vous n'avez pas le choix tant l'offre est rare et qu'il faut bien bouffer, mais aussi parce que dans mon cas c'est un choix délibéré : je ne veux plus m'enquiquiner pour les quelques années qu'il me reste à travailler, et je sais par expérience que les bons salaires, et le statut de cadre, se paient chers, par du temps, de la sueur, et des emmerdes qui volent en escadrille. Tout se paie.
Tout ce que je viens d'exprimer là, une étude de l’Unédic qui analyse l’accès à l’emploi des allocataires seniors est venu me le confirmer rationnellement. Comme si j'en avais encore besoin, tiens...
![]() |
source |
Pourtant, cette mission impossible, je l'ai relevée. J'ai ma fierté. je n'en fais pas une gloire, mais une satisfaction personnelle, et la démonstration que je possède un savoir-faire en plus d'un savoir être qui me permettent de démontrer ce que j'avance : rechercher un emploi est un métier. Et c'est précisément celui que j'ai occupé quasiment toute ma vie, hormis de trop rares parenthèses. Ces dernières années, par exemple, je n'ai occupé la plupart du temps que des emplois en CDD, sans perspective de stabilisation. Aujourd'hui, j'ai un contrat de 4 mois, sans savoir s'il se poursuivra ou non. Mais chaque moi que j'arrache au chômage me rapproche d'une retraite bien méritée, et bonifiée par le fait même que je travaille, et que donc je cotise pour cela. Je suis un pragmatique, n'ayant pas eu la chance d'être né avec une cuiller en argent dans la bouche, contrairement à ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent quand ils prétendent en fanfarons qu'ils sont qu'il suffit de traverser la rue, parce que la vie les a fait naître du bon côté de celle-ci, et avec les bons atouts et le bon réseau.
Mais creusons ce que nous dit l'article de l'Huma :
Si dès 56 ans la situation devient critique, elle est d’autant plus difficile au fur et à mesure que les intéressés se rapprochent et dépassent la soixantaine, souligne également les Échos qui se sont penchés sur cette étude. Ainsi, le taux d’accès à l’emploi durable passe de 28 % à 14 % entre 50 et 61 ans pour les personnes qui avaient un emploi en « intérim » avant d’être en situation de chômage. Pour le groupe « santé », le taux passe de 26 % à 9 %.
De plus, si 39 % des individus ont retrouvé un emploi à l’âge de 50 ans pour le groupe « CDD », le taux passe à 20 % pour les personnes de 61 ans. Concernant les personnes qui avaient un CDI, l’accès à l’emploi durable dégringole encore davantage, passant de 37 % à 11 %. Parmi ces allocataires précédemment en CDI, ceux qui avaient plus de dix ans d’ancienneté dans leur poste paient un prix particulièrement élevé : l’impact de l’âge sur l’accès à l’emploi durable est encore plus marqué dans leur cas.
Des « raisons discriminatoires »
... Ah bon ? Naannn !!!!
Cet état de fait est bien entendu lié à tout un système performatif à l'oeuvre sur le fameux "marché du travail" sur lequel les plus de 5O ans, et à fortiori les plus de 60 ans dont je suis sont une denrée très périssable, pas franchement prisée par des employeurs qui en sont encore au moyen-âge du recrutement. Pour eux, un vieux est forcément plus cher, moins efficace, plus compliqué à gérer, en moins bonne condition physique et avec des problèmes de santé qui vont générer de l’absentéisme. Sur ce dernier point, si l'on peut considérer que les recruteurs ont statistiquement en partie raison, il y a des exceptions, dont je suis. Je n'ai aucun problème de santé majeur. Et je marche, et cours plus vite, et prote davantage que bien des jeunes de 20 ans empâtés par leur sédentarité et leurs modes de consommation. Nous sommes généralement victimes de préjugés qu'il serait bon de passer au crible de la réalité, comme une période d'essai le permet facilement, plutôt que de nous passer à la trappe aussi vite, alors que nous avons tant de choses à partager, une expérience précieuse à donner en relais, et une motivation qui a su résister au fil du temps, forgée par des dizaines d'années de pratique de notre métier.
Aussi, pourquoi jeter tout cela avec l'eau du bain ? Nous ne sommes plus des enfants et notre apport à cette société est évident, chacun.e à notre mesure. Et pourtant... Quelle masse de préjugés et de biais cognitifs il s'agit de traverser pour que cette société (qui ne cesse, gouvernement après gouvernement, d'allonger démesurément la durée de travail dans une vie) nous donne enfin la place qui est la nôtre, quand nous en avons encore la force et l'envie. Mais pour cela, il faudrait que nos politiques mouillent davantage leur chemise, plutôt que de nous laisser dans l'angle mort du traitement du chômage...
Une anecdote, pour terminer : n'est-ce pas le comble du ridicule, que d'obliger des "demandeurs d'emploi" de 60 ans et plus, parfois même à quelques mois de leur retraite, à "rechercher activement un emploi, à suivre des modules de Technique de Recherche d'Emploi, à "réactualiser un CV", ou à organiser leurs démarches de recherche d'emploi, comme le veut France Travail...le, ce qui apparait de plus en plus comme une injonction absurde, vu le contexte, alors que cette société n'est pas fichue de donner de l'emploi digne à tous et toutes ? Cet argent public dépensé en pure perte ne pourrait-il pas être plus judicieusement employé ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire