"Alors que la France est l'un des pays où le milieu social de l'élève conditionne le plus sa réussite scolaire, il est urgent d'agir pour assurer à tous les élèves les mêmes chances de réussir". L'OCDE nous le rappelle, le fossé social explose depuis vingt ans, et désormais la publication des IPS suite à un avis de justice, contre l'avis du précédent gouvernement (1), nous offre une cartographie précise et étayée de ce qui n'est autre qu'une ségrégation sociale et scolaire" (Colombe Brossel, initiatrice de la proposition de Loi sur la mixité sociale, source)
Je viens de regarder sur Public Sénat des extraits d'un débat sur la mixité sociale à l'école, à l'occasion d'un projet de loi initié par le groupe socialiste, écologiste et républicain au Sénat. On ne peut pas vraiment dire que je sois rassuré sur les orientations politiques de ce gouvernement, particulièrement conservateur. Il faut dire que la ministre en charge du dossier s'était déjà illustrée, avant même d'être nommée, par son ségrégationnisme naturel...
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Mais quand je l'ai vue intervenir dans ce débat, je suis tombé de ma chaise en voulant interrompre ce festival de mauvaise foi hallucinante. Leur marque. Comment peut on énoncer autant d’énormités en si peu de temps ? Cela me dépasse. Et comme la température ne lui convenait pas, Madame Gennetet a tenté selon un artifice assez grossier de casser le thermomètre...
« L’IPS est un agrégat qui ne prend pas en compte tous les leviers, ce serait très réducteur de s’en tenir à ce seul indicateur qui ne prend pas en compte le taux de pauvreté, le taux d’élèves boursiers… », a justifié Anne Genetet. (source)
A cet endroit, il convient d'expliciter ce dont il s'agit. Les IPS (Indices de Position Sociale) sont "un outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves face aux apprentissages dans les établissements scolaires français. Plus l'indice est élevé, plus l'élève évolue dans un contexte familial favorable aux apprentissages. Cet indice est construit à partir des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) des représentants légaux des élèves."
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En voici la cartographie nationale la plus récente :
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On comprend que certains établissements, et notamment privés, ne souhaitent pas faire connaitre le milieu extrêmement favorable, aboutissement d'une politique de sélection très stricte, qui préside à la réussite scolaire de leurs élèves, dont ils se prévalent dans leurs campagnes de promotion un peu faciles... Le mythe de la méritocratie véhiculé à droite perdrait de son pouvoir d'attraction idéologique, pourtant peu étayé par la réalité factuelle. Ce n'est pas la force du poignet, du cerveau ou de la détermination liée à l'effort de l'élève, pris individuellement (alors qu'il est déjà parfois fort favorisé par sa naissance) qui est en cause, mais la force de l'argent, du pouvoir et du réseau relationnel, de la notoriété, bien plutôt. Mais ces évidences là, les droitards n'en piperont mot : ça dessert leur croyance.
Bien que ce thème m'intéresse particulièrement en raison de ma propre histoire personnelle, puisque je suis issu d'un milieu social pudiquement qualifié en général de "défavorisé", il s'est retrouvé stimulé par de nombreuses histoires rencontrées tout au long de mon existence par l'observation au quotidien de nombreux cas d'injustices en termes de parcours sociaux et professionnels. La lecture de La Reproduction, de Bourdieu et Passeron, il y a longtemps, et l'exemple plus récent du reportage de Compléments d'enquête sur le Lycée Stanislas sont venus renforcer mes opinions et convictions personnelles sur le sujet, sur lequel j'ai beaucoup à dire, à écrire, et à penser.
Ce projet de loi me semblait pourtant aller dans le bon sens et, pour reprendre les arguments de certains adversaires politiques, aurait pu avoir un objectif on ne peut plus "républicain", bien que j'aie beaucoup de réserves sur ce qualificatif fourret-tout qui ne veut plus dire grand chose... Mais je veux me référer dans cette perspective à la devise inscrite sur le fronton de nos mairies, et notamment à l'Egalité, concept qui n'est pas sans rapports je crois avec la notion de mixité sociale, dont elle est une condition. Mais les sénateurs ont majoritairement voté contre cette hérésie à leurs yeux, selon leurs convictions idéologiques majoritairement droitières hélas. Car la droite a toujours eu intérêt à brandir le totem qui est le sien de la méritocratie, cette légende qui lui appartient. Les débats au Sénat l'ont d'ailleurs reflété assez caricaturalement. La ministre de l'Education Nationale s'y est elle-même employée. De droite et bien de droite...
Je conçois donc qu'un rééquilibrage obligeant à davantage de mixité sociale constituerait une véritable déflagration pour une droite conservatrice très attachée à ses établissements qui perpétuent et reproduisent indéfiniment leurs intérêts de classe. Mais qu'on ne me dise pas que c'est là un facteur de progrès, ou de mérite, et il n'a rien de républicain. A mes yeux, il est plutôt d'essence bourgeoise, voire monarchique. L'obstination que met une certaine droite catholique réactionnaire à conserver le contrat d'association des établissements du même acabit que le Lycée Stanislas, en dépit de ses nombreuses entorses aux règles qui devraient régir leurs financements, est l'expression, l'incarnation même de ce que j'avance ici.
Tordons le cou illico à présent à l'un de leurs arguments phares, aux "méritocrates" : celui qui consiste à penser qu'introduire des élèves "de faible niveau" (rien que cette affirmation est à mon sens à prendre avec des pincettes, la compétence étant l'un de mes éléments de réflexion et de pratique professionnelle). Voilà ce que leur répond l'une des rapporteuses :
« Les élèves les plus défavorisés scolarisés dans un établissement socialement plus favorisé progressent. Au-delà de l’acquisition des connaissances, une plus grande mixité a des effets notables pour tous les élèves sur le vivre ensemble. Enfin, ce renforcement de la mixité sociale n’a pas d’impact négatif sur les résultats scolaires des meilleurs élèves, et font progresser globalement le niveau des enfants », a affirmé Karine Daniel.(source)
(1) Comme le dit Colombe Brossel, il aura fallu en effet que la justice condamne l'Education Nationale à publier ces IPS pour que ce Ministère s'exécute, contre l'avis du gouvernement (Voir ici le contexte de cette décision de justice).
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